Washington DC

3ème ville d’étude, et pas des moindres, on s’est attaqué à Washington D.C., capitale des États-Unis, rien que ça. Petite nouveauté, cette fois-ci on a mis l’accent sur la gouvernance de l’agriculture urbaine, donc moins de fermes et plus de rendez-vous de bureau et de réflexions personnelles au programme, mais clairement pas moins de choses à raconter ne vous en faites pas!

Les « Food Deserts » étasuniens, une bonne raison de favoriser l’agriculture urbaine ?

Notre première rencontre, Elodie Valette, chercheuse en agriculture urbaine actuellement basé à l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) nous familiarise avec la notion de « Food Desert ». Alors les « Food Deserts », qu’est ce que c’est? L’USDA (ministère de l’agriculture américain) les définit comme des zones dans lesquelles un nombre conséquent de personnes est à une distance de plus d’un mile (1,6 km) d’un supermarché (un supermarché étant ici un revendeur de nourriture dont les ventes annuelles doivent excéder 2 millions de dollars).

En gros, ce sont des zones où l’accès à un large choix de nourriture (mieux que des petites épiceries ou des pizzerias) est relativement difficile. Il se trouve que se promener en vélo dans les villes et se rendre compte qu’on ne croise aucun supermarché pendant plusieurs miles nous a bien fait voir ce qu’est un « Food Desert ». C’est donc un problème bel et bien réel, mais cela reste une notion qui d’après nous pose quelques soucis de « définition »…

En effet, les choix arbitraire de distances à des supermarchés ou encore la prise en compte de la « réalité » de la situation font que certains endroits sont d’après nous des faux « Food Deserts ». Un article de Greater Greater Washington présente par exemple la carte des « Food Deserts » de DC avec quelques corrections…

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Ce concept est donc à nuancer, mais il n’en reste pas moins qu’il permet de mettre un nom sur ce problème d’accès à une alimentation saine et variée dans les villes étasuniennes.

Vous vous dites sûrement, qu’on pourrait simplement solutionner tout ça en favorisant l’implantation de supermarchés et autres revendeurs dans ces zones, et vous n’avez pas tout à fait tort puisque c’était là le but du FEED DC act of 2010.(Food, Environmental, and Economic Development in the District of Columbia ). Sauf que cette loi n’a pas permis de résoudre le problème car elle proposait une solution incompatible avec la réalité socio-économique des « Food Deserts ». Non, subventionner les supermarchés pour les mettre dans des zones où les habitants n’ont pas les moyens de se payer une nourriture de qualité ne fonctionne pas. Le rêve de créer de l’emploi dans ces zones est lui aussi totalement illusoire puisque les supermarchés sont en souvent des créateurs d’emplois instables et sous-payés. Bref, ça n’a pas marché, et c’est là que l’agriculture urbaine propose des solutions bien plus intéressantes.

Le département agriculture urbaine de l’université du District de Columbia

Les chercheurs en agriculture urbaine de l’Université du District de Columbia (UDC) nous ont confirmé le rôle important que peut jouer l’agriculture urbaine dans l’amélioration de l’accès à des aliments sains. L’UDC est sur plusieurs fronts pour permettre à l’agriculture urbaine de se développer au sein de la ville:

  • Elle a mis en place des programmes d’enseignement sur l’agriculture urbaine qui proposent des cours sur des aspects techniques mais aussi sur « comment monter un business de ferme urbaine qui marche » et ce en tant que « landgrant university« , c’est à dire une université qui donne à la fois des cours pour ses étudiants mais aussi pour le grand public.
  • Le toit de l’UDC accueillera bientôt l’une des premières fermes urbaines sur un toit à DC qui produira fruits, légumes et herbes destinés à être distribués gratuitement.

IMG_7800Les plants de kiwis sur le toit de l’UDC sont déjà là, la suite du jardin sera bientôt mise en place.

  • Le département agriculture urbaine de l’UDC gère également la ferme de Muirkirk, une ferme expérimentale située en périphérie de la ville dont le but est d’optimiser des techniques de culture pour les mettre en application en ville.

IMG_7910Petite récolte de radis dans une des serres de la ferme de Muirkirk

  • UDC gère également un programme pour installer des « Food Hubs » à plusieurs endroits stratégiques de la ville. Les « Food Hubs » sont grosso modo des sites de production urbains performants (utilisant souvent l’hydro voire l’aquaponie) prévus pour être liés à des « commercial kitchens » qui servent d’incubateurs à des petits business naissants qui rêvent de vendre des plats cuisinés avec des produits sains et locaux.
  • Enfin, UDC s’est lancé dans l’identification de terrains vacants dans des zones de « Food Desert » pouvant accueillir des fermes ou jardins urbains. Cette recherche longue et fastidieuse devrait donner des résultats précis d’ici quelques mois et sera utilisée pour faire fonctionner la toute nouvelle loi sur l’agriculture urbaine que DC a adoptée.

 

Urban agriculture & Food Security Act of 2014 : l’agriculture urbaine essaye de faire sa loi dans les « Food Deserts »

Depuis un peu plus d’un an, la ville de DC tente de donner à l’agriculture urbaine des outils législatifs pour faciliter son développement. Mais donner des armes à ce mouvement pour qu’il puisse faire sa loi n’est pas aussi facile que ça, on va vous expliquer pourquoi.

L’initiative de Three Part Harmony Farm face à une situation foncière insolvable

Si l’idée d’une loi sur l’agriculture urbaine peut paraitre très bonne, elle n’est pas germée toute seule dans la tête d’une des conseillers municipaux de DC. L’année dernière, Gail Taylor, jeune urban farmer à la tête de Three Part Harmony Farm a décidé de prendre les choses en main.

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Sa ferme urbaine placée sur un terrain privé pose un problème majeur au propriétaire du terrain qui la laisse cultiver des légumes chez lui : si Gail vend sa production en tant que farmer, le propriétaire doit payer pas moins de 50 000$ de taxes par an à la ville de DC. Pour mettre fin à ce problème et arrêter sa « distribution illégale » de fruits et légumes, Gail décide d’aller rencontrer la mairie pour proposer un projet de loi sur l’agriculture urbaine qui solutionnerait son problème et permettrait à d’autres jardins urbains de vivre de leur activité ou de voire le jour.

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Écriture et réécriture de l’Urban Food and Security Act

Plusieurs conseillers municipaux acceptent de soutenir Gail dans sa démarche, et l’écriture de cette toute nouvelle loi pour l’urban farming à DC finit par se faire. Après un long travail qui a également nécessité le soutien d’associations comme DC Greens que nous avons rencontrés, la loi finit par être signée par le maire et acceptée par le congrès début mai. Bref, tout semble marcher comme sur des roulettes et cette loi devrait alors mettre en place les mesures suivantes :

  • La « land leasing initiative » qui implique que la mairie de DC devra trouver 25 terrains vacants (de préférence appartenant à la ville) pour mettre en place des fermes ou jardins urbains pour des personnes expérimentées qui cherchent à avoir leur propre espace d’agriculture urbaine. C’est d’ailleurs là que le travail de l’UDC qu’on vous évoquait plus haut prend un sens concret.
  • Des abattements de taxe sur les terrains privés qui accueillent de l’agriculture urbaine et ce à hauteur de 50%. C’est donc là la possibilité pour Gail Taylor d’avoir enfin une activité légale qui voit le jour.
  • Des crédits d’impôts sur les dons de fruits et légumes produits en agriculture urbaine. La ville s’engage à verser ces crédits à hauteur de 50% de la valeur des légumes donnés.

Un beau programme qui semble offrir de beaux jours à l’agriculture urbaine à DC. Sauf que tout ça a un coût et en rencontrant la personne chargée du pilotage de cette loi à la mairie, on apprend que le budget nécessaire à la réalisation concrète des mesures prévues n’est pas encore validé par la ville. On nous invite à reposer la question d’ici une ou deux semaines, ce qu’on a fait.

Une concrétisation de la loi moins impressionnante que prévue…

Aux toutes dernières nouvelles, la mairie nous a répondu suite aux questions qu’on leur a posées après notre entretien et voilà ce qui reste des mesures de l’Urban Agriculture & Food Security act of 2014 :

  • Un abattement de taxes à hauteur de 90 % sur les terrains privés accueillant de l’agriculture urbaine.

400 000$ ont été débloqués pour cela, ainsi que 60 000$ pour un emploi à plein temps chargé de gérer ces questions foncières. Donc non, plus de crédits d’impôts, ni de programme pour l’installation de 25 fermes ou jardins urbains et ce faute de fonds alloués par la mairie à cette loi…

 

Common Good City Farm : une ferme urbaine non commerciale aidée par un programme de l’USDA

Malgré tout le temps qu’on a passé sur cette loi, on aussi pris le temps de visiter des fermes urbaines, histoire de prendre l’air et le soleil en dehors des bureaux.

On vous a parlé de Gail Taylor et la Three Parts Harmony Farm qui pour l’instant n’avait pas une activité légale de ferme urbaine. Mais l’autre visite qui a retenu notre attention à DC est la Common Good City Farm.

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Cet endroit nous a particulièrement intéressé parce qu’en discutant avec la gestionnaire de la ferme, nous avons appris que sa mise en place avait été soutenue par un programme de l’USDA, le Beginning Farmer and Rancher Development Program (BFRDP) qui est en gros un programme d’aide à l’installation de nouveaux agriculteurs. Nous avons trouvé ça assez surprenant, et on se pose la question du nombre de jardins urbains qui bénéficient d’une telle aide (a priori, on imagine qu’ils sont peu nombreux). On va creuser un peu et voir ce qu’on peut trouver comme informations là dessus parce que cela nous semble être une bonne façon de soutenir l’agriculture urbaine à l’échelle nationale.

Après ces deux semaines plutôt intenses passées à DC, on reprend la route, ou plutôt le chemin pour une longue semaine de voyage vers Pittsburgh qui devrait également nous réserver un bon lot de fermes originales et de problématiques de gouvernance dont on a envie d’entendre parler et on espère que vous êtes aussi impatients que nous.

3 thoughts on “Washington DC

  • Merci pour ces infos très enrichissantes ! j’ai une question, est-ce que ça ceux dire des zone qui ont besoin d’agriculture urbaine dans cet article sont en réalité des zones pas qualifiées comme des vraies zones urbaines (critère pouvoir d’achat, etc.) mais envahies par l’urbanisation ? Merci !

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