Une belle ville pour se former sur l’agriculture urbaine : direction San Francisco !
Après deux semaines à pédaler sur les magnifiques côtes américaines, dépourvues de civilisation (on ne compte pas la foule devant le fameux pont de Big Sur), nous espérons trouver un peu de repos pour nos mollets et cuisses qui ont bien senti le manque cruel de routes plates : Déception ! Avant même d’apprécier la beauté des maisons victoriennes colorées, du fameux Golden Gate, ou des balades du bord de mer de la ville, nous avons surtout dû nous faire à l’idée que le plat, ce n’est pas ici qu’on allait le trouver ! Comment pédaler sur des routes quasi verticales ? Les San Franciscains eux ont trouvé la solution : le vélo électrique ! Après de longues discussions sur le sujet et analyse de la pente, nous sommes arrivées à la conclusion que nous n’avions plus le temps de déblatérer : les fermes urbaines nous attendent ! Nous enfourchons nos bolides et partons à la découverte des fermes urbaines de la ville, à l’affût de nouvelles connaissances.
A San Francisco, c’est toutes les générations qui se forment, que ce soit de manière générale, ou plus approfondie, sur la production en ville. La Californie est le berceau alimentaire des États-Unis : nous l’avons vu à vélo, des étendues de champs de toute sorte se succèdent. Des fraisiers, noisetiers, avocatiers, encore des fraisiers, des pelouses (eh oui, les Américains ne savent plus quoi inventer!), des amandiers, des artichauts… la liste est longue. Et la Bay area, l’aire urbaine de San Francisco, grâce à sa situation privilégiée et à son histoire qui a bien évolué (la Silicon Valley y étant pour quelque chose), est devenue l’une des zones les plus cotées du pays (ainsi que le lieu où le loyer est le plus cher). De ce fait, le développement des supermarchés, producteurs locaux et bons produits, est très rapide (hormis dans quelques endroits bien précis comme la partie Nord de Richmond et le sud d’Oakland où la situation de désert alimentaire est encore réelle, et reflète celle accentuée de Los Angeles).
Néanmoins la présence de ces supermarchés et marchés ne met pas plus au courant les habitants sur les notions de valeurs nutritionnelles ou sur les méthodes de production de leur nourriture. Et cela, les fermes urbaines l’ont bien compris, il faut pallier ce manque. Chacune a ses méthodes, son public, mais tous ont le même objectif : Éduquer !
Quelles sont les différentes méthodes d’éducation et visées des fermes urbaines de la Bay area de San Francisco ?
Toutes les générations vont être concernées, ici personne n’est mis de côté. On commence donc par les plus petits.
֍ L’éveil des enfants
On connaît tous les enfants ; ils ont envie de jouer avec leurs copains, ou plus exactement de se chamailler avec eux, de regarder la télévision, ou de manger des bonbons, bref, de tout, sauf de participer à un cours sur la production agricole après l’école. Ainsi les agriculteurs urbains le savent, ces cours doivent être intégrés dans le programme d’école, et toujours pensés de manière ludique.
Certains vont pousser cette intégration au maximum, en créant une ferme urbaine directement dans le jardin de l’école. C’est le cas de deux fermes que nous avons visitées ; Edible Schoolyard dans l’école de King Middle School à Berkeley et Ecosf School farm sur le campus partagé des deux lycées, « Academy of arts » et « Sciences and The School of the Arts » , sur le plus haut point de San Francisco.
Sam a construit la ferme ECOSF avec son associé en 2010 sur 1000 m² de terrain que le campus a mis à leur disposition. Très vite les professeurs de science ont intégré la ferme à leur programme, permettant d’associer la théorie à la pratique. Des clubs “post cours” se sont aussi formés, laissant aux jeunes la possibilité d’expérimenter des techniques : pour les plus motivés, Sam met même à disposition des fractions de parcelles. Aujourd’hui, trois élèves viennent régulièrement et testent plusieurs méthodes et variétés de végétaux.
Cependant la majeure partie de son travail d’éducation se fait au travers d’ateliers sur la ferme que Sam réalise avec les enfants lors de leurs journées de cours. L’école le rémunère pour les donner. Néanmoins les sources de financements étant toujours compliquées à trouver, l’école arrêtera ce programme l’année prochaine. Sam doit, afin de continuer, trouver de nouvelles sources de revenus.
Pour Edible Schoolyard, cela fait 22 ans que la ferme est sur le campus du collège et que des cours sont donnés par les professeurs, sans que l’argent n’ait été un problème. La raison ? Alice Water, chef de plusieurs restaurants japonais, a créé cette organisation et la subventionne presque entièrement. Son objectif ? Permettre à des enfants de mieux manger à l’école, en apprenant l’importance et la difficulté de chaque étape : de la graine à la fourchette. Edible Schoolyard comprend un programme de cuisine avec de grands locaux dans lesquels sont donnés deux à trois cours par jour, ainsi qu’un jardin de 4050 m² où quatre employés encadrent les enfants pour produire les fruits et légumes qui vont directement dans les cuisines. Les cours sont complètement intégrés au programme de science et très divers.
L’organisation est la suivante : Une classe vient une fois par semaine durant deux mois. Elle travaille alors sur plusieurs projets, pas seulement liés à l’agriculture. Un projet consistait par exemple à réparer la pompe d’un bassin puis à le ré-aménager : des notions d’hydrologie leur ont été présentées à travers ce travail. Les élèves peuvent aussi venir volontairement après les cours, ils sont toujours les bienvenus !
Certaines écoles ne peuvent pas avoir de jardin potager par manque de place, financement, ou quelque autre raison. Elles vont pallier ce manque en se rendant directement dans un jardin.
Le jardin communautaire Little Red Hen, réserve par exemple gratuitement des bacs potagers pour deux écoles primaires du quartier. Les professeurs emmènent chaque semaine une classe pour jardiner et ainsi initier les enfants à avoir la main verte ! Cependant cette formule nécessite des compétences en matière de production de la part des professeurs.
Ainsi, lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’expliquer eux-mêmes aux élèves, d’autres organismes existent, avec des personnes compétentes sur le sujet ; c’est ce que propose Planting Justice. Cet organisme à but non lucratif, présent dans le nord de la Bay area à El Sobrante a été fondé en 2009 pour donner des cours potagers dans les écoles. Il propose à la fois la réalisation de jardins, mais aussi des cours théoriques. Aujourd’hui Planting Justice a acquis une pépinière et dispose en plus d’un verger de 20 230 m² avec l’une des collection d’arbres fruitiers les plus variées du pays. Ce verger contient les arbres mères de la pépinière. Ils ont enfin un programme permettant à une classe de venir toute la journée travailler dans le verger, deux fois par mois.
Pour un éveil complet, toutes les formes d’agriculture existant aujourd’hui doivent être présentées, et cela inclut également les systèmes hydroponiques (technique de production alimentaire urbaine sans terre). Mark va se charger d’expliquer à travers son entreprise Growing up Farm ce qu’est l’aquaponie. 100 enfants en moyenne d’écoles aux alentours viennent chaque année. Il fait une visite expliquée des lieux, et se rend parfois dans les écoles avec de petits modèles de son système, qu’il laisse à l’école. Alors comment son système marche- t- il ?
Deux grandes cuves contiennent des poissons : L’une une douzaine de poissons rouges (peu chers) et l’autre la même quantité en poissons chat (qu’ils peuvent vendre à la consommation). Ils n’utilisent pas de poisson tilapia, courant dans ce genre de système, car c’est une espèce invasive en Californie, ils sont donc illégaux.
L’eau de ces 2 cuves est pompée dans une troisième, permettant d’éliminer les gros déchets puis est envoyée à l’intérieur du système :
– Premièrement dans un container où des végétaux “purificateurs” poussent dans des billes d’argiles avec un mélange de bactéries : celles-ci vont transformer les déjections des poissons, le NH3 (ammoniac) en ammonium NH4+ puis nitrites et nitrates NO2 ET NO3 avec la réaction de nitrification.
– Puis pompée jusqu’à une dernière cuve en hauteur, permettant d’irriguer par gravité la production végétale (légumes).
– Ces productions végétales ne sont pas dans un substrat d’argile mais disposées dans des tubes contenant l’eau qui coule en continu avec les nutriments et de l’air : les plantes flottent dessus.
Les plantules poussent, elles, dans des carrés de mousse où sont disposées les graines, dans une pièce adjacente.
La majorité des plantes produites sont des herbes : elles poussent vite et sont intéressantes lorsque produites localement. Ils les laissent pousser pendant trois ans avant de les changer. La salade par exemple va pousser très bien mais est peu intéressante à la vente et il faut remettre des nouvelles pousses tout le temps. Des tomates poussent sur un mur à part : elles poussent très bien et continuent de grandir.
Mark expérimente diverses productions : Les champignons, qu’il régénère à partir de mycélium. Le houblon, qu’il fait pousser sur un mur et qui semble pour l’instant pousser 3 à 4 fois plus vite que celui dans les champs.
Il a aussi expérimenté l’utilisation de divers organismes. Les crevettes : leurs déjections apportent des nutriments différents et apparemment complémentaire de ceux des poissons : cela marche très bien, les végétaux poussent mieux qu’avant.
Il a également essayé de faire un conteneur de vers, qu’il nourrit en fin de cycle avec l’eau des poissons. Cette eau retourne dans le système, enrichie en d’autres nutriments toujours grâce aux déjections.
Chaque mois il ajoute 19 litres d’eau, mais il ne change jamais l’eau. Il récupère par ailleurs la vapeur d’eau condensée dans l’air pour la ré-incorporer dans le système.
En ce qui concerne l’éclairage, tout est automatique. La durée dépend des plantes : le basilic par exemple a besoin de 14 heures/jour. C’est le plus gros investissement.
Les premières lampes utilisées coûtaient 400 $ chacune. Devant l’investissement que cela représentait, il a décidé d’en tester de nouvelles, moins chères. Bonne nouvelle, elles semblent très bien marcher !
Deux éléments clés sont à contrôler pour assurer la réussite du système :
-La conservation d’une température constante de l’eau : l’énergie nécessaire est fournie au moyen de panneaux solaires.
-La conservation d’un PH constant, assuré par un système de contrôle automatique.
Par ailleurs, un mécanisme de contrôle lui envoie un message si de l’eau se retrouve sur le sol , indiquant un mauvais fonctionnement du système.
L’éveil des enfants est essentiel mais le travail ne peut pas s’arrêter la. Les plus jeunes grandissent, avec l’envie d’en savoir plus. L’apprentissage doit donc pour eux être plus poussé et surtout perdurer !
֍ Un apprentissage pur et dur pour les plus courageux
Cela va concrètement correspondre à des stages rémunérés ou non, proposés par les fermes. C’est à Gill Tract Farm, à Berkeley, que ce système est le plus développé. Cette ferme urbaine a une position très particulière. Son histoire est mouvementée, vous pouvez en savoir plus si vous êtes curieux (direction leur site : http://ucgilltractfarm.wixsite.com/gilltract/timeline).
Pour la cinquième année, l’université leur laisse utiliser ce terrain de 12 100 m² pour produire, et rémunère un employé, Jon, pour s’occuper de toute la production et des cours. Il reçoit ainsi beaucoup d’aides des étudiants, et a mis en place un système de stages, financés par l’université. Cette année 17 étudiants le suivent.
Ils apprennent tout des techniques de productions. Quand aux produits, une grande quantité de fruits et légumes sont emmenés par les stagiaires sur le campus de l’université, et distribués à tous gratuitement.
Des stages de vacances, ou summer camps ont aussi lieu à la ferme. L’un avait lieu sur le thème de l’environnement et de l’agriculture lors de notre visite. Neuf adolescents étrangers y participaient et allaient se rendre trois journées complètes dans la ferme pour aider (le camp durait deux mois au total, le temps étant partagé entre différentes fermes).
Et Gill Tract Farm n’oublie personne, les plus petits sont aussi bien servis : un éveil est prévu pour eux ; une crèche se rend dans le jardin tous les mercredis avec des enfants de 5 ans.
City Slicker Farm a dans son jardin permanent de 5 700 m², situé dans Oakland, un programme de summer camps similaire au programme de stages de Gill Tract. Ils emploient et payent des jeunes pour venir travailler à la ferme durant les deux mois d’été.
De la même manière mais cette fois ci volontairement, Alemany Farm, la plus grande ferme urbaine gérée uniquement par des volontaires (jusqu’à cette année où ils viennent d’employer Abby, une volontaire très impliquée grâce à des subventions et donations) accueille des jeunes tout l’été pour venir travailler tout en étant formés. Ils espèrent créer un partenariat avec une université l’année prochaine. Ils ont également un programme de cours gratuits mené deux fois dans l’année. Six cours se succèdent sur deux mois pour apprendre l’ensemble des étapes essentielles pour devenir producteur. Le programme est ouvert à tous. Sur le même principe, au cœur de la ville de San Francisco, le jardin Garden for the environment a un programme de jardinage certifié gratuit et ouvert à tous. Ce sont cependant majoritairement des adultes qui y participent.
Les jardins permettent de certifier des personnes en production/jardinerie. Mais inversement ce sont parfois les jardins qui demandent l’aide de volontaires certifiés à l’extérieur par des professeurs d’universités, pour pouvoir les aider à cultiver.
Ces volontaires se sont formés au travers du programme “ Master Gardener program” qui existe dans cinquante comtés de Californie . Ils suivent gratuitement les cours en échange d’un certain nombre d’heures à donner aux jardins dans les trois années suivantes.
Les adultes ont plusieurs moyens d’apprendre l’existence de ce programme, ou plus généralement l’existence de l’agriculture urbaine, mais dans tous les cas les fermes font tout leur possible pour faire :
֍ Un appel à la prise de conscience des adultes
Un retour en cours est très dur pour des adultes qui ont quitté les bancs de l’école depuis des années. Les fermes doivent trouver des solutions pour les intéresser sans très vite les ennuyer. Pour ceux qui voudraient approcher le sujet sans trop s’impliquer, les cours uniques le week end sont un bon moyen. Spiral Garden, à Berkeley, associe une pépinière à une ferme communautaire.
Le recettes des ventes de la pépinière leur permettent de donner gratuitement des cours le week end sur des sujets variés de l’agriculture urbaine, en faisant intervenir des professionnels. Un chef est par exemple venu une fois cuisiner les produits du jardin communautaire. Ces cours uniques ont lieu dans de nombreuses autres fermes, comme à Gill Tract ou Garden For the Environment (tous les samedi). Toutes deux mettent aussi en place un grand nombre de panneaux explicatifs dans leur jardin, qui sont ouverts à tous et permettent à d’autres d’apprendre seul et à son rythme.
֍ Le jardinage thérapeutique
L’éducation par l’agriculture urbaine peut avoir d’autres visées que la prise de conscience ou l’apprentissage de la production. Elle va aussi permettre à des personnes qui doivent faire face à la maladie de s’échapper, de s’évader. Il a été prouvé que cela permettait d’apporter un réel bienfait mental, qui pouvait se répercuter sur le corps et même dans certains cas accélérer la guérison. Phat Beets est une organisation à but non lucratif à Oakland qui a créé une forêt comestible dans le parc Doken pour organiser des ateliers avec les enfants de l’hôpital voisin. Ils ont créé un programme à part entière ; The Youth Program.
֍ Une porte d’entrée dans la société grâce à la terre
Pour des personnes ayant un passé difficile, un travail pratique est un bon moyen de revenir dans une société quittée plusieurs mois ou années auparavant. Planting Justice offre cette opportunité, et plus encore, forme les personnes encore incarcérées afin de leur assurer un emploi à la sortie. Aujourd’hui la moitié de leurs employés, soit environ quinze personnes, sortent de prison. Andrew nous a confié qu’ils étaient tous très appliqués, et prenaient leur travail très à cœur.
֍ Un retour aux traditions
Pour certaines cultures et religions, l’agriculture est bien plus qu’un simple moyen de se nourrir, mais bien le cœur de nombreuses traditions et rituels qui rythment la vie. Pour la religion juive, la production agricole est l’essence de la civilisation. A Urban Adamah, un intérêt tout particulier est porté à l’éducation aux traditions : quatre fois dans l’année, trois mois de retraite sont organisés pour des jeunes de 21 à 31 ans pour leur enseigner les quatre piliers de la culture : l’action sociale, la communauté juive, l’agriculture biologique et le développement de l’esprit. Ils vivent alors sur la ferme et suivent un ensemble de cours théoriques et pratiques, d’ateliers sur divers sujets, de petits stages dans d’autres fermes ( à Edible Schoolyard par exemple) et de soirées rituelles. Carly nous a confié à quel point ces trois mois ont été marquants dans sa vie et lui ont ouvert l’esprit. La communauté juive n’est pas la seule qui peut bénéficier de cours à Urban Adamah ; des summer camps sont ouverts à tous les enfants de 3 à 12 ans et des cours sont organisés tous les mois, ouverts à tous. Ils ont différents systèmes de culture pour apprendre ; des cultures en bancs permanents, d’autres en bacs, un verger, un système aquaponique, un poulailler et même des chèvres pour fabriquer avec leur lait du déodorant , du savon et du beurre !
Ces fermes urbaines, dans leurs diversités, apportent beaucoup à la ville. C’est pourquoi elles reçoivent, en retour, de nombreuses aides. C’est dans la Bay area, l’aire géographique de San Francisco, que nous avons perçu les plus gros avantages d’être directement au cœur de l’urbain. Toutes ces fermes sans exception ne paient pas de loyer pour le terrain, prêté par la ville, par l’université ou l’école. Dans certains cas, ils n’ont à donner qu’1$ symbolique par mois.
Lorsque qu’on voit les prix exorbitants du foncier dans les villes que nous avons visitées, cet avantage est loin d’être négligeable.
Bien sûr cela peut amener à des contreparties. L’université a par exemple, de fortes attentes sur la gestion de la ferme Gill Tract.
L’étude de la ville de San Francisco nous a fait prendre conscience d’un point essentiel : pour que l’agriculture puisse être rentable, il faut qu’elle soit SOUTENUE par un maximum d’acteurs: la ville, les écoles, des business, la communauté…