Welcome to the Community of Sacramento !
C’est par de grandes chaleurs que nous arrivons à Sacramento, capitale de la Californie, et autoproclammée « America’s Farm-to-Fork Capital ». Nous partons à la découverte de nouvelles fermes urbaines, pensant bien connaître le sujet après toutes les fermes étudiées depuis le début de notre périple. Loin de là ! Nous ne sommes toujours pas au bout de nos surprises, et vous non plus !
Sacramento, avant tout une communauté
Depuis le début du voyage, nous avons observé l’existence d’une solidarité inter-fermes. Nous vous en avons parlé avec l’exemple d’un producteur de la ferme Agua Dulce qui donnait des cours à Wild Willow Farm. Mais c’est à Sacramento que nous avons réellement pris conscience de l’importance dans l’agriculture urbaine de :
La Communauté (The Community)
Nous allons donc vous expliquer pourquoi les Américains tiennent tant à leurs communautés, à travers l’exemple de la ville de Sacramento.
Pourquoi l’agriculture urbaine ne peut exister sans la communauté ?
La Communauté des producteurs urbains
Le réseau des agriculteurs urbains est très soudé, mais différentes relations existent entre eux .
Des relations de partenariats
Ce qui relie premièrement les producteurs urbains est matériel ; l’argent bien sûr. Il y a 8 ans, la ville de Sacramento a mis en place une bourse “agriculture urbaine”. Elle se prolongera encore sur 2 ans. La particularité de cette bourse ? Le partage est réalisé directement par les producteurs, qui se réunissent donc tous les mois pour décider de son utilisation.
Mais bien au delà de l’argent, ce qui lie les producteurs, ce sont les objectifs et les difficultés qu’ils partagent ; comme le manque de place par exemple. Au sud de Sacramento, la Food Bank and Family est une banque alimentaire qui récupère la nourriture de 225 organisations pour la redistribuer, depuis les années 70. Cette société a plusieurs programmes éducatifs autour de la nutrition, de la cuisine et de la production maraîchère : on apprend tout du long trajet de la graine à l’assiette ! Pour assurer ces programmes, ils possèdent à côté de leurs bâtiments un jardin démonstratif de 1000 m² avec une cuisine extérieure aménagée. Deux fois par semaine David, le seul employé, y donne des cours gratuits aux habitants du quartier, par sessions de 5 classes.
Cette cuisine extérieure était également utilisée par les fermes urbaines Soil Born Farm et Yisrael Family, qui venaient y donner des cours de cuisine.
Ils ont arrêté de venir il y a un an : La visibilité et la crédibilité acquise grâce à ces cours leur a permis de trouver de plus grandes surfaces où s’installer et se développer.
Les producteurs urbains partagent généralement aussi les mêmes idéaux : permettre aux habitants de mieux se nourrir, d’en apprendre davantage sur les bases de la nutrition et enfin arriver à rassembler les habitants d’un même quartier. Ils soutiennent ainsi mutuellement leur activité.
Un exemple parlant est celui du “parrainage” entre organismes, ce dont a bénéficié Fatima, qui a créé un regroupement de producteurs dans le nord de Sacramento. Administrativement et légalement, elle ne peut pas avoir ni de compte en banque ni de volontaires lors d’activités dans ses jardins. Deux associations la parrainent donc pour lui permettent d’avoir tout cela : elles prennent la responsabilité de l’assurance pour l’accueil des volontaires et ouvrent des comptes à leurs noms.
Les fermes urbaines ont de nombreux avantages à travailler ensemble car elles ont des intérêts complémentaires. Le meilleur exemple est celui de l’intérêt liant les deux apiculteurs Tifanny et Kenneth à Randy.
Randy a créé sa ferme “Root 64” il y a un an, dans le jardin de sa propriété. Il partage ses ventes entre des marchés de producteurs locaux et des restaurants.
La notion de rendement lui est donc essentielle ; une bonne pollinisation est ainsi nécessaire. Et c’est pourquoi les abeilles de Kenneth et Tifanny vont s’avérer très précieuses pour lui.
Créée il y a 4 ans par Kenneth et Tifanny, l’entreprise d’apiculture urbaine B’s Bros Honey a installé chez Randy deux de ses ruches.
C’est une situation win-win ! Kenneth et Tifanny bénéficient gratuitement d’un terrain grand luxe pour leurs abeilles, et ces dames pollinisent la ferme de Randy de manière incroyablement efficace !
Car le manque de place et les réglementations sont un vrai casse tête pour les apiculteurs urbains : car la ville de Sacramento a fixé un nombre de ruches maximum par acres. Sur leur surface propre Kenneth et Tifanny ne peuvent posséder que 4 ruches : c’est un peu limité !
Un autre exemple d’associations complémentaires, est celle des jardins communautaires de la ville (gérés par le département de gestion des parcs) avec l’association Resoil Sac.
Resoil Sac récupère les déchets alimentaires de restaurants pour les transformer en compost, puis livre le précieux engrais à tous les jardins communautaires de la ville, et ceci uniquement à vélo (belle rencontre avec des confrères) !
L’agriculture urbaine DÉPEND donc fortement de la création d’un réseau et d’un travail COLLECTIF: la communauté est un endroit où trouver aide, conseil et soutien : si l’on fait une erreur, si l’on a un besoin, on partage son expérience pour aider le prochain. C’est grâce à cet esprit que l’agriculture urbaine est si développée et efficace ici.
Des relations de mentor/élève
L’agriculture urbaine reste pour l’instant un petit domaine, et qui a-t-il de mieux pour apprendre, que d’être formé par des confrères qui ont fait face aux mêmes questionnements que vous à leurs débuts ?
Fatima a appris l’agronomie grâce à Randy, lui même formé par une autre ferme urbaine ; Soil Born Farm. Soil Born Farm qui s’étend sur 22 ha au cœur du parc American River Ranch est une référence à Sacramento. Avec 8 programmes différents, elle assure des formations à destination d’enfants comme d’adultes (agronomique et cuisine), tout en produisant pour pas moins de 60 CSA (Amap) en plus de banques alimentaires.
Un programme de formation d’agriculteurs urbains plus élaboré existe dans la ville : The Center for Land-Based Learning. Mené dans presque toute la Californie (27 comtés exactement), il consiste en une formation théorique intensive de 7 mois, au bout desquels chacun se voit mettre à disposition une surface ( possédée par le programme) pour une durée de 4 ans.
Ce n’est pas moins de 40 personnes qui seront alors là pour les guider au cours de ces 4 années. Des conseils pour cultiver, se faire une clientèle, vendre leurs produits, ces nouveaux producteurs sont bien accompagnés !
Nous avons donc rencontré Laurie, qui a suivi ce programme. Il lui a permis de confirmer son choix de se lancer dans un projet de ferme urbaine. Elle a d’ailleurs été très chanceuse ; The Center for Land-Based Learning qui voulait se séparer d’une de leur terre, trop petite pour continuer leur programme dessus, la lui loue désormais afin qu’elle y développe son business. Elle a donc créé Flourish Farm il y a 4 ans : une ferme de fleurs qui s’étend sur 1000 m², et qui permet aux habitants de la communauté de pouvoir venir faire eux mêmes leur bouquet. Sans ce programme, Laurie en est certaine : elle ne se serait jamais lancé ! De plus cette ferme lui a permis de rencontrer les habitants du quartier, de nouer avec eux des liens de confiance.
La communauté des habitants d’un quartier
Pour comprendre l’intérêt que les américains portent à cette communauté, il faut revenir sur le fonctionnement de la société américaine : c’est une société très individualiste ; chacun a sa propriété et tient à la notion de séparation des biens. Pour ce qui est de l’organisation sociale des villes, il n’y a pas de centres autour desquels se réunir : les zones résidentielles s’étalent à l’infini, on est bien loin des villes françaises construites autours de places, églises et autres lieux de vie commune. Les habitants ont donc ce besoin de se fédérer autrement, d’où cette identité forte autour d’un “quartier” ou “bloc” .
Et l’agriculture urbaine dans tout ça ? C’est justement un vecteur de rencontres formidable ! En fédérant les habitants autour d’un projet commun et en offrant un lieu de réunion, c’est un endroit d’échanges permettant de renforcer ces liens de communautés.
Ces producteurs urbains ont pour la majorité l’objectif principal de servir leur communauté, leur quartier, leurs voisins : la création de lien de confiance et de reconnaissance est PRIMORDIALE pour eux.
Pour ces aspects, différents projets nous ont marquées : tous de vrais réussites !
Fatima vit dans le Nord de Sacramento, un quartier assez pauvre avec peu de supermarchés: il est difficile de trouver des produits frais et qui dit rare dit cher. La population y est très multi-culturelle et de nombreuses personnes possèdent des connaissances agronomiques de pays très divers. Elle a vu ce potentiel et a décidé de fédérer ces personnes afin de permettre aux habitants du quartier de bénéficier de produits frais: elle a créé l’alliance Del Paso Heights Growers Alliance. Ainsi depuis 4 ans près d’une dizaine de personnes produisent sur deux parcelles de 500 et 1000 m² à moins de 20 minutes de marche l’une de l’autre. Ils produisent des fruits et légumes faciles à conserver et chers en supermarché comme de l’ail, des échalotes, de la canne à sucre mais aussi toutes sortes de baies comme les fraises, myrtilles. Toute la production est donnée aux habitants du quartier.
Chanowk lui, a voulu rassembler sa communauté faisant face à un problème à la fois d’insécurité alimentaire et de chômage, en les employant directement dans sa ferme Yisrael Family. Il a employé deux personnes à plein temps, une à temps partiel et offre des contrats saisonniers. Tous les mardi et jeudi il ouvre sa ferme à une quinzaine de volontaires pour planter, désherber, repiquer ou tout autre tâche utile, en échange de légumes.
Il a également construit une quarantaine de potagers dans des jardins d’habitants du quartier afin de permettre à sa communauté de produire et d’être plus autonome sur leur alimentation. Enfin, il a eu l’idée de créer un groupe Facebook regroupant tous ces producteurs pour qu’ils puissent échanger sur les techniques de productions, s’aider les uns les autres sur les problèmes qu’ils rencontrent, ou se prêter du matériel.
Les apiculteurs de la ville de Sacramento, quant à eux, ont créé un site internet : chaque fois qu’un essaim d’abeilles est repéré dans la ville, n’importe qui peut le signaler et l’un des apiculteurs du quartier viendra le récupérer pour l’installer dans une ruche ; ainsi les abeilles n’embêtent pas le voisinage, et les apiculteurs récupèrent gratuitement un essaim ! Les voisins retirent également des bénéfices ! Depuis que B’s Bros Honey a installé des ruches, leurs arbres fruitiers ainsi que ceux de leur voisins ont repris vie ! Certains n’avaient jamais eu de citrons avant et croulent aujourd’hui sous les agrumes ! Et il en va de même pour les arbustes et fleurs.
Ainsi les fermes urbaines servent leurs quartiers sur les aspects
– Sociaux: elles vont rassembler leur communauté, et générer du lien social autour d’événements, comme des dîners, des films en plein air, des “works parties”ou des festivals dans leur ferme. Elles embellissent également le cadre de vie.
-Économique : en créant de l’emploi et en facilitant l’accès aux produits frais pour tous
-Environnemental : en offrant des espaces verts
Et les quartiers, en échange forment une clientèle fidèle tolérante (pas de complainte concernant le bruit, l’odeur de l’engrais, des volontaires pour venir aider au jardin…) et aidante : lorsqu’il y a besoin de volontaires !
Bref c’est un joli cercle vertueux dans la ville de sacramento ! Où chacun y trouve son compte.
(Vous remarquerez que dans cet article nous avons utilisé 17 fois le mot communauté. Lors de nos rendez vous nous avons arrêté de compter après la 100ième utilisation des producteurs. )