Ah, New York City, cette bonne vieille grosse pomme que l’on ne vous présente plus. Ville la plus peuplée du pays, symbole de l’american dream, mais également un sacré bordel architectural dans lequel on a plutôt du mal à imaginer comment des fermes pourraient se glisser.
En ville-monde qui se respecte, New York City est également une ville où les gens sont plutôt pressés, plutôt occupés et n’ont plutôt pas le temps de répondre à nos questions. On s’est donc heurté à pas mal de murs dans nos recherches, mais voilà quand même un petit résumé de ce qu’on a pu voir.
NDLR : En préambule à cet article, il faut savoir que la ville de New York (NYC) est composée de cinq quartiers, appelés « Borough », dont les noms sonnent forcément familiers si vous avez un jour regarder n’importe quelle série américaine: Manhattan, Brooklyn, Queens, The Bronx, Staten Island. Chacun de ces Borough souffre d’une réputation particulière dans l’imaginaire collectif et que l’on pourrait résumer ainsi:
Manhattan = Gros buildings avec des traders dedans.
Brooklyn = Quartier de Hipsters en puissance.
Queens = Résidentiel plutôt tranquille
Bronx = « C’est le Bronx » comme on dirait en français, le borough le plus pauvre et avec le plus haut taux de criminalité
Staten Island = « Le Borough Oublié » (C’est pas nous qui le disons, on l’a lu sur un T-Shirt)
Voilà, comme ça , au moins, maintenant, c’est clair.
Les fameux « rooftop gardens »
On ne vous fait pas le dessin: New York est une ville ultra dense, ultra bétonnée, très peu d’espaces verts (bon, à part central park au milieu), pas de place et des prix du foncier qui crèvent le plafond. Des conditions a priori absolument défavorables à l’agriculture urbaine, donc. Cependant, comme souvent aux USA, la ville possède un potentiel gigantesque en toits plats inutilisés. On a donc vu se développer dans les dernières années un certain nombre de « rooftop gardens » (littéralement, jardin sur les toits) à NYC.
Ceux qui s’intéressent, même de loin, à l’agriculture urbaine, on sûrement déjà entendu parler de Gotham Greens ou de Brooklyn Grange, des exemples en la matière. C’est bien simple, on en entend parler à chaque fois qu’on entend parler d’AU. On en entend tellement parler d’ailleurs, que les employés commencent à en avoir ras la casquette et ont décidé de ne plus répondre aux questions des intéressés que par des tours privés à plusieurs centaines de dollars par personne. Autant dire que ça nous a un peu refroidi et qu’on a préféré se contenter des informations du site (qui sont de toute façon très complètes) et passer notre chemin. On a quand même réussi à aller faire un tour à Brooklyn Grange (qui se trouve dans le Queens, comme son nom ne l’indique pas) et on doit reconnaître que c’est plutôt impressionnant.
Brooklyn Grange, sur un toit du Queens, avec son majestueux drapeau américain qui flotte au vent et une vue ma foi sympathique sur la skyline de Manhattan.
On ne développera ici pas beaucoup plus sur ces supernova de l’agriculture urbaine. Si vous voulez en savoir plus, on vous laisse googler « Brooklyn Grange » ou « Gotham Greens » et lire l’un des 250 articles qui existent à leur propos.
Place à la jeunesse!
En désespoir d’obtenir des rendez-vous dans cette ville où, manifestement, tout le monde a mieux à faire que de taper la causette avec nous, nous avons décidé de rentabiliser notre temps en allant faire du volontariat dans une ferme du sud Brooklyn.
Un Maximilien pas tout propre, mais tout content de ses performances en travaux pratiques.
La ferme dans laquelle nous nous sommes rendu est gérée par Added Value, un organisme caritatif, soutenu par la ville qui lui laisse accès libre à un terrain inoccupé afin de s’adonner à son activité première : la formation de jeunes adolescents (de 15 à 18ans) à l’agriculture. L’objectif: leur permettre d’acquérir des connaissances techniques, mais aussi de les former à devenir des leaders d’équipe sur des exploitations urbaines, mais également rurales. L’agriculture urbaine en tant qu’outil pour former des jeunes urbains et leur permettre de voler de leurs propres ailes, un modèle que l’on avait déjà vu dans les incubateurs de Cleveland, Toronto et Ottawa.
Nous avons donc travaillé trois heures durant sous les ordres de deux jeunes du quartier, dont la capacité à gérer un groupe de 5 adultes ne peut qu’impressionner.
« Voir autre chose. »
Tant qu’on était lancé sur la jeunesse, on a carrément décidé de passer des adolescents aux enfants et d’aller faire un tour à HarlemGrown, un organisme qui possède plusieurs fermes éducatives dans le nord de Manhattan. Même si vous n’avez jamais mis les pieds à New York, vous avez forcément tout un tas d’idées plus ou moins fondées, plus ou moins positives, qui vous sont venus à l’esprit à la lecture du mot « Harlem ». Dans la tête de certains, une chanson s’est même lancée automatiquement. Pour la majorité des gens, c’est plutôt Harlem = quartier noir avec haut taux de criminalité.
Pour remettre les choses au clair, Harlem, c’est la partie nord de la presqu’île de Manhattan qui est frontalière du Bronx. Elle a connu dans les années 50, en post première guerre mondiale, une période de désindustrialisation un peu sombre pendant laquelle, entre autres, une large communauté noire s’est installée et le taux de criminalité a augmenté. Donc évidemment, tout le monde y a vu un lien de cause à effet et ça n’a pas forcément servi la cause noire aux Etats-Unis. Toujours est-il qu’aujourd’hui, Harlem n’est plus en majorité noir et sans dire que c’est tout à fait safe, le quartier n’est plus du tout aussi dangereux que ce qu’il a pu être. Cependant, même si les gens ont parfois l’air d’y trouver aujourd’hui une bonne vibe, la pauvreté n’a pas disparu et les problèmes sociaux sont légions. A titre d’exemple, 31% des familles vivent sous le seuil de pauvreté. Cette statistique aberrante également: 70% des enfants d’Harlem vivent dans une famille monoparentale. C’est ce genre de statistique qui a fait dire à HarlemGrown qu’il était nécessaire de « faire voir autre chose » à ces enfants.
HarlemGrown, c’est donc aujourd’hui trois fermes pédagogiques dans Harlem, qui accueillent chaque jour des enfants du quartier pour leur apprendre à cultiver fruits et légumes, à bien manger, mais aussi à faire du yoga ou n’importe quelle activité qui les sorte un peu de leur quotidien. Tony, le fondateur de l’association qui nous a reçu, fait notamment une priorité du fait que ses financeurs (fondations privées, supermarchés, compagnies d’assurance, mais aussi boîte de conseil) viennent travailler avec les enfants de temps à autres: « En faisant ça, j’espère leur donner des idées. S’ils passent leur temps avec leurs grand frères qui squattent des escaliers toute la journée, ils n’auront jamais l’idée de faire autre chose que de squatter des escaliers et de vivre d’allocations. En les confrontant à des gens qui ont fait des études, j’aimerai qu’ils comprennent que c’est quelque chose d’envisageable, même pour eux. Il y a 5 ans, je ne recevais que des gamins qui voulaient devenir Lebron James ou Beyoncé. Aujourd’hui ils veulent devenir architecte ou ingénieur.«
Pendant les deux mois de vacances d’été, HarlemGrown propose des activités dans le jardin tous les jours. Ici, un cours de yoga.
La totalité de la production du jardin est gracieusement cédée aux enfants et à leurs familles. Et comme, les jardins ne sont pas bien grands, une serre hydroponique a même été construite et permet d’approvisionner 52 familles toute l’année durant.
North Brooklyn Farms
Alors que nous pensions avoir fait le tour de toutes les fermes commerciales de NYC (et avoir essuyé autant de refus), nous sommes tombé tout à fait par hasard sur une jeune ferme du nom de North Brooklyn Farms (Au pluriel oui, ne nous demandez pas pourquoi.). Alors que nous regagnions gentiment nos quartiers sur les coups des 10pm (Ouais, 22h quoi.), nous avons entraperçu de la lumière derrière de grandes barrières en bois et un petit panneau indiquant l’entrée d’une petite ferme. Petite par la taille, mais grande par la gueule.
Nichée à Brooklyn, au bord de l’East River, entre un gigantesque bâtiment désaffecté et un non moins gigantesque pont, le ferme jouit d’une vue absolument imprenable sur la skyline de Manhattan. Et les porteurs de projet en sont parfaitement conscients. Profitant d’un deal improbable avec un bailleur de fond qui cède le terrain gratuitement pendant 8 ans, la ferme vend sa production par box hebdomadaires mais fait l’essentiel de ses revenus en événementiel : location du site pour événements privés, dîners aux chandelles le dimanche soir préparés par des cuistots de renom, concerts en semaine, défilés de mode. Le tout à des prix -on ne vous le cache pas- plutôt voire carrément indécents (75 boules le dîner) qui laissent réellement perplexe. Gentrification , bonsoir.
Mais en dehors de ces événements ponctuels, la ferme est tout de même pensé comme un lieu de vie pour les habitants du quartier. Sur la totalité du terrain cédé par le bailleur, un tiers seulement a été mis en culture. Le deuxième tiers a été engazonné et des tables y ont été installés, afin que tout un chacun puisse venir y pique-niquer en y faisant jouer son chien ou son enfant, au choix. Le troisième tiers a quant à lui été aménagé en skate park. En résulte un endroit extrêmement sympathique dans lequel il fait effectivement bon venir se relaxer et on parvient facilement oublier le bruit de l’autoroute qui traverse le pont.
« -Ah,ça fait du bien de le voir se dépenser comme ça.
– Oui, et puis surtout, il nous fait quand même vachement moins ch*er!
– Tu parles du chien ou du gosse, toi? »
Quantifier les bénéfices des fermes urbaines
Ni vraiment une organisation, ni vraiment une institution, FiveBoroughFarms est un projet : celui de quantifier précisément les bénéfices apportés par les fermes urbaines de la mégalopole. NYC compte en effet aujourd’hui plusieurs centaines de fermes et jardins, dans lequel on cultive des légumes, mais on crée également d’autres richesses plus difficiles à quantifier : niche de biodiversité, réduction des îlots de chaleur urbains mais aussi bénéfices en termes de santé, de bien-être etc.
Lancé par un organisation à but non lucratif en 2009, le projet FiveBoroughFarms avait pour but de fournir aux exploitations agricoles urbaines une série d’outils et d’indicateurs facilement mesurables afin d’une part, de permettre aux fermiers de garder plus simplement une trace de leurs travaux et d’autre part, de les aider à pouvoir présenter de manière structurée leurs résultats à d’éventuels financeurs ou partenaires publics.
5 ans et 19 indicateurs plus tard, pas moins de 275 fermes urbaines sont enregistrées sur la base de données, dont certaines en Australie, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, sans qu’on sache d’ailleurs vraiment d’où elles soient sorties. Un projet qu’on ne détaille pas plus ici, car il fera (probablement) l’objet d’une vidéo à lui tout seul, dans le carde de notre collaboration avec l’UMR Innovation de Montpellier, dont on vous touchera quelques mots bientôt.
NYC, c’était notre dernière ville d’étude et vous venez donc de terminer notre dernier article carnet de bord! La phase itinérante, c’est fini… Direction la France maintenant. Mais, rassurez-vous, l’aventure n’est pas finie et vous entendrez à nouveau parler de nous très bientôt!